lundi 3 novembre 2025

Girard et mémoire de maîtrise


Aujourd'hui je voudrais commémorer l'anniversaire de la mort de René Girard, un philosophe qui a profondément marqué le travail que j'ai fait pour mon mémoire de maîtrise, le siècle dernier, à l'université de Parme. Mon mémoire de maîtrise était consacré à la notion d’altérité dans les œuvres de Daniel Pennac. J’ai articulé mon analyse en quatre parties:

1. La figure du bouc émissaire comme l’autre par excellence.

2. “L’autre personnage”

3.L’intertextualité comme une relation avec un autre écrivain

4. L’utilisation du langage dans les romans (notamment l’utilisation de l’argot comme un langage-autre) et d’autres démarches aliénantes, tels les jeux de mots, l’identité glissante du narrateur, les changements de style.

Dans Le Bouc émissaire, René Girard explore le mécanisme de la violence collective à travers le concept du bouc émissaire. Il montre comment les sociétés projettent leurs tensions et conflits internes sur une victime innocente, perçue comme responsable des troubles. Ce processus, qu'il relie aux mythes et rituels religieux, permet de restaurer la paix sociale en éliminant la victime. Girard examine aussi le rôle des textes bibliques, qui, selon lui, révèlent et dénoncent ce mécanisme. Il propose ainsi une relecture anthropologique de la violence et du sacré dans les cultures humaines. 
J’ai démontré que, loin d’avoir constitué simplement une source d’inspiration pour Pennac, cet essai a structuré profondément la série Malaussène. Les notions philosophiques élaborées par Girard et visant à démontrer que le Christ a renversé le mécanisme qui produit le bouc émissaire (qui devient une figure positive, celle de l'agneau) ont été utilisées par Pennac comme des contraintes littéraires.

Après cette démonstration, j'ai procédé dans l'analyse du thème du double, qui est examiné par Girard dans son essai et est très présent dans les œuvres de Pennac. J’ai appliqué la notion d’aliénation aux personnages dédoublés. Je me suis occupée ensuite de l’exclusion des personnages pennaciens. La différence est souvent stéréotypée chez Pennac, ce qui m’a permis une excursion à propos de l’usage des stéréotypes et des archétypes dans ses œuvres. L’archétype est exploité comme une image, ce qui implique une relation d’altérité avec ce qui est représenté dans l’image, le personnage qui se cache derrière l’image archétype.

Umberto Eco a défini la production en série comme pur mythe pour deux raisons: la répétition de l'identique, et le fait que les représentations en série sont en général figuratives. Une fois apprécié le mythe, il s'ouvre selon Eco une deuxième possibilité au lecteur/spectateur: celle de juger la forme esthétique de l'objet proposé, c'est à dire la variation sur thème mythique. Ce qui importe sont les techniques de variation, mais une variabilité infinie n'est qu'une répétition cyclique et mythique. Les appellations tout à fait semblables aux épithètes de l'épique classique, ou les reprises de formules similaires, comme si chaque roman était un long poème à apprendre par cœur sont fréquentes dans les œuvres de Pennac. Ce qui rend "autres" ces formules par rapport au genre épique et à la forme mythique sont les contenus de ces épithètes, souvent ironiques dans le cas de Pennac.

Le rapport ludique de Pennac avec le texte rend insaisissables les limites entre les différents niveaux textuels, et confond le lecteur qui veut savoir qui est en train de narrer et pourquoi, en donnant ainsi l'impression, à la longue, d'un texte qui se fait tout seul et qui se dit tout seul, d'un texte mythique.
La conclusion montre que les aspects de l'altérité que j'ai analysés ont de strictes rapports réciproques par le biais du mythe. Le thème principal de l'œuvre de Pennac sont les rapports de domination que l'auteur analyse d'un point de vue mythique et rituel. Pennac dévoile souvent les mythes et les rites qui sont à la base des comportements sociaux, parce que dans un contexte littéraire postmoderne les savent reconnaître un mythe dans sa forme codifiée, et ils s'en méfie en tant que genre littéraire. D'autres fois, l’auteur dissimule la structure mythique de ses propres narrations, empêchant ainsi au lecteur de mettre son apparat critique en action. Livré à l’affabulation et à jouissance de l'intrigue, le lecteur ne reconnaît plus le mythe bien qu’il soit hyperconnoté. La structure mythique permet à l’écrivain d’effectuer les "variations sur thème" qui sont typiques de la production postmoderne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire